Les nuances

Les nuances sont très rares sur les réseaux sociaux. Cela ressemble plus à de l’art moderne qu’à de l’art figuratif. On lance de grands principes à la va-comme-je-te-pousse soit pour raison d’économie de caractères dans un tweet, soit par sectarisme ou simplement par manque de vocabulaire.

Dès que l’on utilise “la” pour donner sa solution on sait que l’on n’est pas dans la nuance. Le simple fait de dire “une” solution invite à l’élaboration et à la discussion. La vie d’aujourd’hui n’est complexe que parce que l’on discute de  tant de sujets de façons tellement définitives. Les gens ont des opinions sur tout, et ce n’est pas là le problème mais, dans la façon d’en parler. Chacun a droit à son opinion, c’est vrai. Mais, lorsque le temps d’en discuter vient, n’y a-t-il pas une certaine obligation de l’expliquer et d’écouter celle du voisin?

Les gens sont tous si pressés, ont tant l’impression de manquer quelque chose, sont absorber par leur téléphone mobile pour être aussitôt averti de quoique ce soit. Ils sont à la recherche de quoi? Je ne saurais dire. Le problème c’est qu’ils ne le savent pas non plus. Mais ils veulent le savoir aussitôt que ça se produira.

Les communications circulent à une vitesse effarante. Il y en a tellement et elles ont la vie tellement courte que l’on est pris par le désir de tout voir et tout savoir. Cette fausse impression de tout savoir est ce qui nous amène à ne pas avoir le temps de colliger ces informations et ainsi nuancer nos opinions. Il faut du temps pour se déconnecter et ingurgiter la matière des communications.

Je suis chanceux j’ai beaucoup de temps. En fait, j’ai tout mon temps. J’ai tout ce dont j’ai besoin et je n’ai d’autres préoccupations que de réfléchir et observer. Je fais du bénévolat en transport de personnes dans les hôpitaux et chez le médecin. J’ai donc beaucoup d’heures d’attentes. J’ai un téléphone mobile, il est toujours, mais toujours, fermé. J’ai une tablette mais je l’apporte rarement. Qu’est-ce que je fais de tout ce temps? Je discute avec la ou les personnes qui veulent bien le faire. Mais, curieusement elles sont rares. Beaucoup sont préoccupées. C’est compréhensible car ils sont là pour des raisons de santé. Faut-il quand même profiter du temps qui nous est donné?

Le rythme de la vie n’est marqué que par le rythme où notre cœur bat. On ne le sent pas et on danse à la vitesse perçue des autres. Si chacun avançait à son propre rythme et non au rythme qu’il pense que les autres dansent, beaucoup de problèmes seraient réglés. En premier lieu celui des désordres mentaux. Je pense que beaucoup d’anxiété et de dépression vient du fait de ne pas se sentir à la hauteur. Le rythme des communications est effarent et la quantité de celles-ci ne cesse d’augmenter, si c’est possible.

Il ne s’agit pas donc de déshumanisation mais de dénuancisation. On n’a plus le temps pour les nuances. Tout est rendu 0 ou 1, noir ou blanc, question de vie ou de mort. C’est affreux. La majorité des gens sont tendus et ils le sont dans l’emploi, dans la vie et même dans les loisirs. Nous sommes rendus au point où, pour la première fois, la génération qui suit a une espérance de vie plus courte que celle de la génération précédente.

Il y a de multiples raisons à ce fait. Premièrement ça ne peut augmenter indéfiniment et constamment. Ça fonctionne par bonds au fur et à mesure que l’on abat des barrières. La première barrière fut celle de santé publique par l’assainissement des conditions de vie urbaines et sociales. La salubrité générale a fait bondir l’état de santé général. Puis ce fut les antibiotiques, puis ce fut les maladies coronariennes. On est à vaincre le cancer. La révolution génique s’annonce. Cela amènera probablement un autre bond de longévité.

Tout ce temps qu’on a gagné sur la vie n’est en fait que perdu en préoccupations. Donc un moyen terme ne serait-il pas de perdre un peu de ce temps gagné pour partager avec les autres, proches et inconnus, de façon à chacun pouvoir avoir une meilleure idée du point de vue de l’autre et ainsi s’apercevoir que l’on est nombreux à penser la même chose? Que nous ne sommes pas si différents que ça. Que les différences ne sont que dans les nuances et non dans les couleurs?

Bertrand (@BDmoi)

 

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